Art chinoise à la fondation LV
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« Des artistes chinois dans la turbulence des mutations » : un sous-titre idéal pour cet évènement haut en couleur qui se tient au cœur de l’innovante Fondation Louis Vuitton du 27 janvier au 2 mai 2016 et conçu en collaboration avec le Ullens Center for Contemporary Art de Pékin. Construit très rapidement et de manière frénétique, les échanges artistiques entre la France et la Chine sont mis à l’honneur depuis plusieurs années et les idées reçues sur ce territoire inconnu s’effacent enfin. Mais qu’en était-il de l’art contemporain chinois ? Depuis l’exposition « Alors la Chine ? » présentée au Centre Pompidou, cela faisait 12 ans que la proposition de ces nouvelles formes d’art venues d’ailleurs manquait sur la scène artistique parisienne. Par une sélection pointue d’artistes aux pensées et aux techniques multiples, la Fondation Louis Vuitton consacre aujourd’hui la majorité de sa programmation annuelle à ces identités marquantes à la fois pour leur pays que pour la scène internationale. Dans un monde en pleine mutation, la Chine en est sans aucun doute le noyau et illustre au mieux ce turbulent changement.
C’est autour de quatre thèmes principaux : l’économie, l’écologie, l’identité et le contraste entre la ville et la campagne, que les 12 artistes exposés ont construit leurs œuvres, se différenciant de par leur regard propre à chacun sur un même pays, où ils ont grandi quasi-simultanément depuis les années 60 jusqu’aux années 80 et nous livrent ainsi des interprétations diverses de la vague environnementale et socio-culturelle qui bouleverse leur pays depuis vingt ans. Cependant, l’exposition ne s’est pas organisée dans un souci de répertorier ou de catégoriser chacun des artistes, les enfermant dans des courants définis par un style précis suivant la fâcheuse habitude que l’histoire de l’art français a pu nous inculquer. Au contraire, aucune de ces figures n’est appréhendée dans un mouvement mais comme une entité propre, qui évolue par et pour elle-même dans ce pays qui l’inspire à sa façon. Bentu ne fait donc pas un état de l’art contemporain chinois mais tente de mettre en valeur chaque personnalité talentueuse qui révèle la sensibilité d’une civilisation agitée et en constante mutation. Par une scénographie réfléchie emprunte de ce climat de nostalgie ambiante, l’exposition nous transporte de Pékin à Shanghai où l’on croise sur notre périple diverses expériences sensibles comme les mystérieuses installations vidéo en noir et blanc de Yang Fudong, une visée carrément virtuelle avec Cao Fei qui décrypte de manière sociologique les nouvelles habitudes des enfants de la génération Internet, mêlant ainsi politique et pop-culture, ou encore l’esthétique charmante et troublante du portrait de la société chinoise par Zhang Xiaogang. Sans oublier les sculptures de Xu Zhen mêlant des emblèmes patrimoniaux d’origine différente mais aussi Liu Wei qui introduit dans son travail une esthétique conçue en premier lieu sur ordinateur puis peinte à la main durant de longues heures, faisant penser à des circuits imprimés. La révolution numérique est donc au cœur de leur inspiration, tout comme le quotidien que l’on retrouve dans les œuvres de Xu Qu, pour qui l’art est à chaque coin de rue dans ces immenses agglomérations urbaines, comme les billets du monde entier qu’il agrandit de manière démesurée, du yuan au dollar américain. Des formes séduisantes donc, peut-être pour mieux montrer ce qui est difficilement avouable et témoigner de l’évolution de leur pays. Portées par le progrès, les grandes villes chinoises ont privilégié la destruction pour le neuf. Dans un désir de renouer avec leurs racines, la tendance s’inverse et une politique de conservation et de restauration du patrimoine s’est instaurée. Ces artistes sont alors partagés entre l’émergence de nouveautés et le rattachement à leurs valeurs qui sont abandonnées sous les décombres du patrimoine architectural détruit. On oublie souvent qu’en Chine, l’art contemporain est né en conséquence d’un tournant libéral économique et social durant les années 80. Le successeur de Mao, Deng Xiaoping ouvre alors le pays sur le monde occidental, faisant éclore la génération de la Nouvelle Vague (1979-1989) au cours de laquelle la création et la liberté d’expression connaissent une explosion sans pareil et où le choc des cultures devient le principal sujet. De Pékin à Shanghai, cette globalisation accélérée touche l’ensemble de la Chine qui, d’une part fait la promotion de sa culture et d’autre part, participe à la croissance d’une culture mondiale. Signifiant étymologiquement « terre natale », Bentu rend compte finalement des questions d’identité d’un pays dynamique dont toutes les valeurs traditionnelles ont été transformées, et son inscription dans le monde actuel. Car la Chine n’est pas une foule, elle regorge de véritables individualités qui ne veulent pas s’exprimer au nom d’un peuple unique mais d’une génération qui désormais s’affirme notamment à travers ces œuvres monumentales à visée contemplative ou plus dénonciatrice, ayant toutes pour fondements les racines de cette Chine plus tourmentée mais surtout plus folle qu’on ne le pense. [L’exposition temporaire répartie sur 3 niveaux continue avec une programmation d’évènements pluridisciplinaires et une sélection d’œuvres chinoises de la collection permanente de la Fondation.] |
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