Entretien avec Mme. Christine Shimizu, directrice et conservatrice générale du patrimoine du Musée Cernuschi. Le Musée Cernuschi : un des plus beaux musées de la ville de Paris de l’époque contemporaine
Propos recueillis par : XUN LAN
Après d’enrichissants échanges culturels et artistiques entre la Chine et la France en 2014, une tendance nouvelle s’est dessinée atour des artistes chinois et asiatiques dans la capitale française. Des chercheurs et amateurs occidentaux s’intéressent depuis longtemps déjà aux secrets encore peu dévoilés de l’art asiatique. Certaines œuvres d’arts asiatiques ont même rejoint le rang des œuvres associées à l’histoire de l’art en occident mais elles demeurent encore mystérieuses et exotiques aux yeux de la plupart des occidentaux. Il a toujours fallu un certain temps pour que les véritables spécialistes comprennent et puissent apprécier cette forme d’art issue d’un contexte très différent du leur. Mais avec l’aide de nombreuses expositions aujourd’hui présentées en dehors du continent Asiatique, leur démarche s’est considérablement améliorée. Grâce au travail des musées d’arts asiatiques, des galeries et des antiquaires spécialisés dans l’art asiatique, le monde peut désormais porter un regard nouveau sur ces œuvres issues de lointaines cultures. L’art asiatique devient petit à petit un acteur incontournable du monde de l’art.
Paris et son importante scène artistique jouent un rôle essentiel dans cette évolution en exposant des œuvres chinoises, japonaises ou coréennes d’une grande valeur. Paris compte aujourd’hui deux musées spécialisés en arts asiatiques: le Musée National des Arts Asiatiques-Guimet, et le Musée Cernuschi-Musée des Arts de l’Asie de la ville de Paris. Ce dernier, dont les collections proviennent d’un collectionneur amateur d’art italien, permet aux visiteurs de découvrir ses œuvres dans une atmosphère distinguée. A partir du XXème siècle, le musée s’est développé grâce à une maison de collectionneurs. Henri Cernuschi (1821-1896) et le critique d’art Théodore Duret (1838-1927) ont ensuite effectué un tour du monde de presque trois ans (de 1871 à 1873) où ils ont eu la chance de découvrir les objets d’art les plus raffinés de Chine et du Japon. Passionné par la délicatesse et la finesse de la technique artistique, Henri Cernuschi acheta alors près de 4000 œuvres dont une grande partie de bronzes chinois. Ses collections ont sans plus attendre été exposées au Palais de l’Industrie dans le cadre de l’Exposition Orientaliste qui se tenait du mois d’août 1873 au mois de janvier 1874. Mais le chemin d’exploration artistique d’Henri Cernuschi ne s’est pas arrêté là. Pour mieux conserver et mettre en valeur ses précieuses œuvres, Henri Cernushi acquit auprès des Frères Pereire un bâtiment néo-classique vide près du Parc Monceau, réalisé par l’architecte hollandais William Bouwens van der Boijen (1834 - 1907). Ainsi naquit le Musée Cernuschi. Cette élégante maison privée se mit alors à accueillir de nombreux amateurs d’art et de grands savants tels que Zola, Maupassant ou Gambetta. Elle devint progressivement le lieu incontournable des chercheurs et amateurs d’art asiatique. Quelque mois avant son décès, Cernuschi léga sa maison et l’ensemble de ses collections à la ville de Paris. Deux ans plus tard, le 26 octobre 1898, le Musée Cernuschi ouvrait officiellement ses portes au public. Une fenêtre s’était ouverte sur le monde de l’art et en 1905, le musée accueillit son tout premier conservateur : Henri d'Ardenne de Tizac (1877-1932) qui repositionna les spécialités du musée pour se concentrer sur l'art et l'archéologie de la Chine ancienne. Cette première concentration sur l’art ancien n’empêcha toutefois pas le musée de rester ouvert à l’art asiatique moderne et contemporain. Au travers de nouvelles acquisitions et grâce à diverses donations, les collections du musée se sont accumulées et rassemblent aujourd’hui un nombre remarquable d’œuvres modernes et contemporaines chinoises. En 1953, le musée reçu une donation importante du docteur Guo Youshou (1900-1978) comprenant des œuvres de Sanyu (1901-1966) et de Xu Beihong (1895-1953), véritables maîtres de l’époque et figures importantes de l’histoire de l’art chinoise. En 1993, deux artistes chinois contemporains ont également offert leurs œuvres au Musée Cernuschi. Leur démarche renforça considérablement le rapport entre les artistes chinois contemporains et le musée. Un riche volet de collections d’art chinois contemporain s’offrait désormais aux yeux du public parisien.
Lorsqu’on s’arrête sur les brillantes collections d’art chinois du Musée Cernuschi, on ne peut manquer le chef-œuvre de l’époque tardive de la dynastie Shang : la Tigresse, Vase You en forme de félin pouvant contenir boissons ou alcools, fait de bronze de couleur foncée et dont la gravure a nécessité une technique extrêmement raffinée. Seulement deux Youde la Tigresse existent, le second est conservé au Musée Sen-oku Hakuko Kan à Kyoto, Japon. Une œuvre issue de collections Bouddhistes attirent également l’attention : Bodhisattva, statue de bronze dorée datant du règne de l’empereur Yongle (1403 – 1424), dynastie Ming (1368-1644). Cette statue de bronze a été décorée de manière très sophistiquée, le visage de Bodhisattva est harmonieux et rend cette œuvre de 700 ans particulièrement impressionnante. Des œuvres modernes et contemporaines de grande notoriété sont également visible dans ce Musée. C’est le cas du Cheval de Xu Beihong, des Liserons Rouges de Qi Baishi, des Pivoines Blanches de Sanyu, de La Falaise Rouge (calligraphie) de Kang Youwei ou encore de Tempête de Fu Baoshi. De telles œuvres permettent au Musée de se positionner à un rang élevé parmi les musées d’art chinois moderne et contemporain.
Ces œuvres modernes et contemporaines font partie des trésors du musée et sont le témoin du changement de perspectives du Musée qui a brillamment sut ajouter à l’art et à l’archéologie ancienne les œuvres uniques de l’époque moderne. Le choix du musée de se concentrer sur des œuvres anciennes ne l’a pas empêché d’étendre ses recherches à notre époque. L’exposition présentée du 10 juillet au 4 août 2014 dans le cadre du 50ème anniversaire des relations diplomatiques sino-françaises présentait par exemple les œuvres céramiques de Bai Ming (1965-). Au travers de petites expositions monographiques, le musée fait participer un public relativement jeune et de plus en plus attiré par l’art chinois contemporain. C’est là une stratégie de positionnement extraordinaire pour un musée français engagé dans le marché de l’art asiatique. Grâce à la diversité des œuvres proposées par le musée, le Musée Cernuschi s’est construit une image dynamique et positive. Il ne cesse de chercher de nouvelles formes et de nouveaux supports à offrir à son public. L’exposition qui s’est terminée début 2015 a confirmé cette démarche : Entre BD et peinture, la Chine de Li Kunwu, ouverte du 24 janvier au 1 février 2015 dans le cadre de Paris Musée Off. A travers les œuvres du caricaturiste contemporain chinois, Li Kunwu, le musée a réussi à jouer un rôle essentiel dans la contemporanéité de l’art chinois. Plus de projets autour de ce thème devraient voir le jour, offrant au public toujours plus de raisons de visiter le musée.
Le magazine AVM a rencontré Mme. Christine Shimizu, directrice et conservatrice générale du patrimoine du Musée Cernuschi. Nous nous sommes entretenus avec elle des collections du Musée, de son développement et des stratégies envisagées pour ce qui touche à l’art asiatique moderne et contemporain. Voici donc ce qu’elle nous en a dit :
AVM : Votre Musée fait partie des deux seuls Musées d’Art Asiatique de Paris mais c’est aussi le cinquième Musée d’Art Chinois d’Europe. Comment vous différenciez-vous des autres musées asiatiques européens ?
CS : Comme vous le savez, nous avons une importante collection d’art ancien mais nous avons surtout su réunir une importante collection d’art contemporain. Depuis 1950, le musée a organisé de nombreuses expositions d’artistes contemporains chinois. On a par exemple reçu Wu Guanzhong ou Zao Wou-ki, qui a d’ailleurs été exposé au musée alors qu’il était encore en chine, il ne résidait même pas en France. Le directeur de l’époque a très tôt a su repérer les artistes contemporains chinois. C’est à partir de ses talents que nous avons créé une collection et c’est ce qui nous différencie aujourd’hui des autres musées qui sont pour la plupart des musées d’art uniquement ancien. La majorité d’entre eux n’exposent que très rarement des pièces contemporaines, et c’est souvent en petite quantité.
AVM : La collection d’art contemporain de votre musée est-elle aujourd’hui plus importante que les autres collections au musée ?
CS : Non, nous revendiquons tout de même encore comme majoritairement musée d’art ancien. De nombreuses collections datent de l’époque des dynasties Shang, Zhou et Han. Malgré ça il est vrai que le musée a acquis un très grand nombre d’œuvres contemporaines. Ce sont principalement des peintures, la sculpture occupant de trop grands espaces nous avons choisi de nous concentrer sur la peinture.
AVM : Depuis l’acquisition des collections d’origine, issue du voyage en Asie d’Henri Cernuschi, comment les collections du musée ont elles évoluées ? Particulièrement la collection d’œuvres chinoises.
CS : Il y a eu une période exclusivement « Cernuschi ». Henri Cernuschi a collectionné toutes sortes d’objets lors de ses voyages en extrême Orient et en Asie de 1871 à 1873. Parmi les objets qu’il a collectionné, il y a des objets du 18ème et 19ème siècle et des objets des dynasties Shang et Zhou. A la fin du 19ème siècle, c’était là des époques et des domaines encore peu connus et jamais étudiés. L’arrivée d’un nouveau directeur dans les années 1920 a orienté le musée vers les œuvres chinoises très anciennes. Ce fut le début d’une période exclusivement réservé à ces œuvres qui des années 20 s’est poursuivie jusqu’à nos jours puisque le musée a conservé l’ensemble de ces collections. Mais au fil du temps on a eu envie de développer les expositions en lien avec la peinture. Monsieur Cernuschi ayant rapporté très peu de peintures chinoises il était nécessaire de faire entrer de nouvelles collections. Les œuvres des années 40 et 50 nous intéressaient particulièrement et en 1953, le don de peintures chinoises modernes et contemporaines du docteur Guo Youshou nous a permis de remédier aux lacunes de nos collections en matière de peinture. Depuis nous n’avons cessé d’enrichir notre collection de peintures chinoises et nous nous sommes de plus en plus orienté vers les périodes modernes et contemporaines.
AVM : Quelle est la collection d’œuvres la plus impressionnante du musée (après le legs d’origine)?
CS : J’aime tout, alors, c’est difficile à dire… On est en ce moment en train d’installer une très belle sculpture bouddhique qui vient d’être présentée à l’exposition des Ming à Londres, qui est une superbe sculpture de bronze dorée. Elle correspond à des périodes, on pourrait dire, plus récentes. Après il y a également les ponts arqués évidemment de l’époque des Shang, il y a des chef-œuvres dans le musée. Après c’est la peinture, mais la peinture n’est pas présentée de manière permanente, c’est temporaire uniquement à cause de la fragilité de la peinture, donc je ne peux pas vous mentionner des peintures, mais j’aime beaucoup Gao Qipei comme peintre et puis des peintres évidemment plus récents, Wu Guanzhong, c’est l’artiste le plus récent, et puis on a des artistes encore plus modernes.
AVM : Quels regards portez-vous aux collections de l’art moderne et de l’art contemporain chinois du musée ? Quels mouvements artistiques sont ciblés et quelles techniques les artistes préfèrent-ils ? (Artistes moderne et contemporains : Sanyu, Zhang Daqian, Qi Baishi, Xu Beihong, Fu Baoshi, Wang Zhen)
CS : Nous avons quand même une ligne d’acquisition assez particulière, parce que nous ne faisons pas la même démarche que le Musée d’art moderne de Paris. Donc nous n’avons pas du tout les mêmes objectifs que le Musée d’art moderne de Paris ou le Musée Pompidou qui sont des musées choisissant et sélectionnant des artistes chinois avec des critères plutôt d’internationalisation de l’art. Nous, ce que l’on souhaite, c’est montrer comment les artistes chinois contemporains utilisent la tradition, cela ne veut pas dire qu’ils travaillent dans la technique traditionnelle, ils s’appuient la tradition pour créer de l’art contemporain. Donc cela peut être des artistes qui utilisent de l’encre, de papier mais de manière très contemporaine, c’est-à-dire cela n’a rien à voir avec le Shanshui traditionnel. Ce n’est pas notre but de montrer la tradition chinoise d’hier à aujourd’hui où les artistes reproduisent des peintures de paysage à l’ancienne, nous, ce que l’on veut, c’est montrer comment la nouvelle génération a compris l’art ancien et le réadapte pour créer quelque chose de nouveau. Mais pas une démarche internationale comme on peut le voir dans certaines installations. Nous ne collectionnons pas du tout d’installations ni de vidéos parce que ce n’est pas dans la tradition chinoise et ce n’est pas vraiment un lien, et puis ce n’est pas notre rôle non plus. Nous, on souhaite montrer l’évolution artistique de la chine depuis ses origines jusqu’à l’époque moderne en montrant qu’il y a une continuité de pensée dans la tradition chinoise. Mais cela ne veut pas dire que ce sont des imitations de peinture ancienne.
AVM : Comment harmonisez-vous cette transmission des collections de plus en plus importantes de l’art contemporain chinois pour un musée qui se spécialise en art ancien et archéologie chinoise depuis ses débuts? Comment positionnez-vous votre rôle muséal au sein de l’art contemporain chinois en Europe ?
CS : Nous remarquons quand même que dans la peinture - je parle de la peinture parce que c’est l’essentiel de notre exposition contemporaine - une continuité. Puisqu’on a des peintres de l’époque des Qing ; on a des peintres de la période où il y a eu des artistes chinois qui sont venus à Paris étudier et qui ont mélangé l’art occidental à l’art chinois et ont petit à petit fait évoluer les tendances. Même récemment, on a fait rentrer dans le musée des peintures qui ont été réalisées à l’époque de Mao. Si vous voulez, nous, ce qui nous intéresse, c’est de retracer l’histoire de la peinture chinoise. Ce n’est pas seulement comme un musée d’art contemporain qui pourrait exister en France ou dans d’autres pays occidentaux pour montrer ce qui se passe uniquement de nos jours. Nous, ce qu’on veut, c’est montrer comment la peinture chinoise a évolué des peintures de l’époque des Ming jusqu’à nos jours en passant par de multiples phases. Certaines de ces périodes peuvent très bien être des périodes de styles complétement chinois ; elles peuvent aussi êtres des périodes avec des influences occidentales venues des artistes ayant étudié à Paris. Il y a aussi des peintures qui ont été réalisées sous la direction de Mao Zedong, et puis des peintures réalisées ces dernières années. En résumé, notre regard est vraiment un regard linéaire et historique. Ce n’est pas du tout comme un musée d’art contemporain occidental qui va choisir d’acquérir des œuvres chinoises contemporaines parce qu’elles s’inscrivent dans des courants internationaux. Nous, ce qu’on veut montrer, c’est une évolution sur une très longue durée. L’évolution, les transformations de l’art, transformations notamment dues à des événements politiques tels que sous les Yuan, les Ming et jusqu’à aujourd’hui avec des changements dus à la politique actuelle du pays.
AVM : Quel est votre budget annuel ?
CS : On a un budget annuel qui est un budget donné par la ville de Paris. Malheureusement ce budget est très insuffisant parce que l’art moderne et l’art contemporain valent très chers, c’est donc encore bien insuffisant et, en général, nous essayons d’obtenir des donations qui peuvent peut être des donations d’artistes, des donations de galeristes ou des donations de particuliers.
AVM : Que se passe-t-il si un artiste veut vendre ses œuvres au musée ?
CS : De toute évidence, nous n’acceptons pas les œuvres de tous les artistes. Il peut y avoir de bons artistes comme il peut y avoir de mauvais artistes. Il faut donc faire un tri et ce tri, c’est nous qui le faisons. C’est-à-dire que nous nous réunissons avec les conservateurs dans le musée. On voit ensemble si l’on est d’accord sur la qualité de l’artiste et si l’on est d’accord, on présente l’œuvre de cet artiste à deux commissions. Il y a une première commission de la ville de Paris et, ensuite, une commission de l’état français. Si tous acceptent, l’œuvre peut entrer dans les collections du musée. Ce n’est pas parce que l’œuvre est offerte au musée qu’elle sera forcément acceptée.
AVM : S’agit-il d’une démarche ouverte des artistes vers le musée ?
CS : Si vous voulez, c’est plutôt nous qui faisons la démarche vers les artistes qui nous intéressent. Malheureusement il y a beaucoup d’artistes en chine et on ne les connaît pas tous. On connaît ce qui sont présentés dans de grandes galeries, soit à Shanghai, à Hongkong, ou à Pékin, ou bien ce qui ont la chance d’exposer dans des galeries en France, à Londres ou à New York. Maintenant il y en a tellement d’autres qu’on ne peut pas tous les connaître. Ceux qui sont sélectionnés dans ces grandes galeries ont déjà réalisé une première collection pour les galeristes. Nous essayions de trouver un chemin différent et de démarcher des artistes que l’on juge de qualité ou intéressant pour comprendre l’évolution historique et artistique de la peinture chinoise.
AVM : Avez-vous des collaborateurs galeristes ?
CS : Non, ce sont les conservateurs qui décident et qui vont voir ce qui se passe dans les galeries. Donc nous faisons une enquête. Les conservateurs vont à Pékin, à New York, à Paris, à Londres, etc. Ils rencontrent les galeristes, et si ils voient une œuvre qui les intéresse soit on l’acheté soit on essaie de voir avec l’artiste comment on peut s’arranger pour exposé l’œuvre, soit nous cherchons à la recevoir comme un don. Mais ce qui est sûr c’est que, comme beaucoup de musées, nous recherchons évidemment le mécénat pour acquérir les œuvres. On a une société des amis du musée qui nous aide. En plus des acquisitions grâce au financement de la ville de Paris, cette société des amis du musée nous aide financièrement à acquérir des œuvres.
AVM : L’exposition temporaire en cours, « Entre BD et peinture, La Chine de Li Kunwu », nous fait découvrir un dessinateur autodidacte dans la pleine contemporanéité chinoise. En quoi cette exposition est-elle originale ?
CS : C’est un événement de 5, 6 jours, c’est 6 jours d’exposition dans le cadre d’une manifestation de tous les musées de la ville de Paris, les 14 musées de la ville de Paris. On a était sollicité par le maire de Paris pour faire une petite manifestation spéciale pendant un week-end. C’est une manifestation d’un week-end, ce n’est donc pas une exposition mais plutôt une animation que l’on fait sur un week-end prolongé sur trois jours, donc cela fait 6 jours au total d’exposition, mais ce n’est pas une exposition dans le sens où on fait de grandes expositions dans le musée. Normalement nous avons une salle d’exposition temporaire lorsqu’on fait une exposition, c’est une exposition durant trois mois, il y a un catalogue. Ce n’était pas le cas de nos manifestations précédentes.
AVM : Pourquoi avez-vous choisi un artiste de BD ?
CS : Pour nous, le présenter permet d’essayer d’attirer un nouveau public pour le musée et en particulier un public plus jeune qui s’intéresse à la BD et qui pourra découvrir les publications de BD de Li Kunwu, qui sont aussi publiées en France. C’est aussi pour cette raison que c’est juste un événement de quelques jours. Les jeunes de 18, 20 ans voient les musées comme quelque chose d’un peu rébarbatif pour les jeunes, c’est compliqué, c’est historique, donc ils ne viennent pas facilement dans les musées. Nous avons nous l’image d’un musée plutôt classique, donc on essaie de montrer que d’autres choses se passent en Chine que l’art traditionnel ou officiel. Ici nous tenons à considérer l’événement comme une manifestation plutôt que comme une exposition. Nous n’avons pas préparé de catalogue de promotion pour l’artiste, c’est plus le rôle d’une galerie de promouvoir un seul artiste. Nous, on essaie d’avoir un regard historique et lorsqu’on expose des artistes contemporains, on peut en présenter plusieurs de manière à montrer quels sont leurs apports, l’un par rapport à l’autre, est-ce qu’ils appartiennent à un même groupe, à une même tendance ou est-ce qu’ils sont différents. On essaie d’avoir un regard historique et critique et non d’exposé le travail et les idées d’un artiste unique.
AVM : A part l’exposition dont on vient de parler, vous avez mis en place plusieurs expositions temporaires dans le volet contemporain telles que « Présentation d’œuvres d’artistes contemporains chinois », « Bai Ming, peintre-céramiste », cette démarche cherche-t-elle à développer encore plus l’art contemporain chinois du musée Cernuschi ?
CS : Cette exposition « Bai Ming » a eu lieu l’année dernière, c’était également une petite manifestation qui a duré trois semaines et qui a été organisée dans le cadre de la reconnaissance de la Chine par la France.
Nous essayons d’alterner parce que nous avons un public qui s’intéresse à la Chine dans la globalité, et il y a un public qui s’intéresse à l’art ancien chinois, donc il ne faut pas les décevoir mais il ne faut pas non plus décevoir le public qui s’intéresse au monde contemporain. Ces deux publics sont assez différents, ils ont des objectifs différents, donc on alterne exposition ancienne et exposition plus contemporaine. Nous essayons de varier un peu. On ne fait pas non plus que de l’art contemporain chinois ou que des expositions chinoises, il y a aussi des expositions japonaises et des expositions coréennes. Cette année, on aura par exemple une exposition d’artistes contemporains coréens. Nous avons deux grandes expositions annuelles, au printemps et à l’automne. Entre les deux, il peut y avoir une petite manifestation comme on a fait pour « Bai Ming » pour pour « Li Kunwu ». Mais encore une fois ces deux manifestations ont eu lieu dans un cadre un peu particulier. L’exposition n’est pas très grande, elle se tient dans une salle uniquement. On s’en tient à une seule salle parce que nous effectuons les travaux pour préparer les grandes expositions dans le reste du bâtiment. De cette façon, le musée est toujours vivant et il s’y passe toujours quelque chose. Peut-être que dans une grande exposition, le public va se sentir un peu perdu parce qu’il n’y a pas de base historique tandis que dans les petites manifestations comme « Bai Ming », on essaie de faire en sorte que les choses soient plus faciles à comprendre. Et ces petites manifestations sont gratuites.
AVM : Envisagez-vous de faire plus d’expositions avec des artistes contemporains chinois ?
CS : En fonction du temps et de l’espace, de toute façon, ces exposition ne sont font que dans la petite salle.
AVM : Quelle est la surface de cette salle d’exposition ?
CS : La surface de la salle d’exposition temporaire est de 345 mètres carrés (dont une surface utilisée d’environ 120 mètres carrés). Puisque chaque grande exposition nécessite une scénographie assez étudiée avec l’intervention de plusieurs codes de métiers, on ne peut pas utiliser toute la surface.
Le musée était à l’origine un hôtel particulier construit pour un collectionneur qui souhaitait vivre au milieu de ses objets, c’était une véritable maison. Ce qui est intéressant ici c’est que vous rentrez dans une maison privée française, ce n’est pas un bâtiment construit pour être un musée au départ. C’est une ambiance très différente, on s’y sent un peu chez soi.
AVM : Quels sont les critères principaux du choix des artistes contemporains chinois pour les expositions temporaires?
CS : En général ça dépend de la qualité des sujets qu’ils ont traités et puis aussi beaucoup de nos coups de cœur. On ne peut pas vous dire que nous cherchons tel ou tel artiste parce qu’il n’y a pas de règle et un artiste ne va pas créer spécialement pour nous faire plaisir, donc c’est nous qui allons vers lui et pas lui qui vient vers nous. C’est principalement le coup de foudre pour certaines œuvres qui compte, si nous avons un coup de foudre nous espérons que le public l’aura aussi !
AVM : Par rapport aux expositions temporaires, comment vous vous organisez en interne et en externe ?
CS : Il y a deux types d’expositions. Pour les expositions dont nous choisissons les sujets nous allons démarcher les musées pour savoir s’ils peuvent nous prêter les œuvres. Donc soit ce sont des œuvres qui viennent toutes d’un même musée, c’est ce qu’on a fait avec le musée de Shanghai ; soit ce sont des œuvres qui viennent de différents musées et nous les réunissons des œuvres qui viennent de collectionneurs, de musées différents aussi bien chinois ou américains que français ou Européens.
AVM : Et à travers quels axes et quels critères exercez-vous des collaborations externes ? Collaborez-vous avez des commissaires d’exposition à l’extérieur ?
CS : Cela nous arrive, mais en général, c’est plutôt nous qui préférons choisir les sujets parce que les commissaires extérieurs ne connaissent pas bien le musée. Ils ne connaissent pas bien non plus notre public donc on ne confie jamais l’intégralité d’une exposition à un commissaire extérieur. S’il y a un commissaire extérieur, il travaille avec un commissaire intérieur du musée, c’est un travail d’équipe, de coopération. Une exposition qui arrive « clé en main », c’est-à-dire une exposition toute faite par un commissaire extérieur qui nous dit « Voilà, je vous livre ça », on ne la fait pas parce que nous souhaitons pouvoir choisir nos sujets, choisir des œuvres adaptées à la qualité de notre musée et conformes à ce que notre public attend.
On peut travailler en collaboration, ce n’est pas exclu, mais on restera toujours présent dans les décisions définitives ou même dans l’élaboration du projet. On peut travailler à deux, mais jamais sur des expositions « clé en main ». Par exemple, on fait une exposition qui aura lieu à partir du mois de mars, qui est sur l’école de Lingnan, on travaille évidemment avec le conservateur du musée de Hongkong. Nous avons choisi des œuvres, mais ces conservateurs nous ont dit « Mais, vous savez qu’une œuvre comme ça, c’est plus intéressant », il arrive donc parfois que l’on change d’avis. Mais ce sont nos conservateurs et directeur qui sont à l’origine des projets en général. Le conservateur, lui, il se déplace, il va voir, il discute et c’est lui qui réfléchit sur un sujet, soit un sujet original qui n’a pas été présenté ailleurs. C’est aussi important de ne pas présenter une exposition qui a déjà été vue plein de fois.
AVM : Quelles seront les formes de collaboration externes dans le futur pour le musée Cernuschi ?
CS : Un projet d’exposition en général a besoin d’être prévu 3 ans à l’avance. Donc pour l’instant, on travaille plutôt sur 2017. Nous avons ainsi le temps de réunir les œuvres, d’obtenir des accords de prêt et de contacter les institutions et artistes. Nous souhaitons vraiment développer les échanges avec les musées chinois. On a déjà rencontré les directeurs de grands musées de Pékin, et on a d’autres projets qui sont en cours. Maintenant on est ouvert à d’autres propositions, et d’autres échanges. S’il y a un musée chinois qui souhaite faire une exposition ici, nous sommes tout à fait ouverts. Mais on aime bien qu’il y ait une discussion qui s’installe et un échange mutuel. C’est beaucoup plus enrichissant pour les deux parties et je crois qu’on peut faire quelque chose de beaucoup mieux quand on travaille en collaboration.
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